Antépénultième voyage du tombeau de Jovin

A Reims en 1896, l’antépénultième (avant-avant-dernier) voyage du « tombeau de Jovin », du Palais du Tau à l’abbaye Saint-Remi

Un reportage du photographe François Rothier, conservé depuis 1927 à la Bibliothèque municipale Carnegie de Reims grâce à H. Jadart et L. Demaison. Voir les documents sur les pérégrination de ce célèbre sarcophage rémois. Pour la période gallo-romaine, c’est une des œuvres clés du Musée historique Saint-Remi).

Le début et la fin du voyage de 1896 ont donc été immortalisé par Rothier. Pour le tombeau, voir aussi les notices : le Powerpoint de la notice 32 (octobre 2014) et la notice 15 (juin 2011) et l‘étude de Ch. Poulain au sujet des Rothier. Et depuis, les notices : avril 2017 et mai 2017

L’antépénultième (avant-avant-dernier) voyage du « tombeau de Jovin », du Palais du Tau au cloître de l’abbaye Saint-Remi en 1896 : un reportage du photographe François Rothier, conservé à la bibliothèque Carnegie de Reims depuis 1927, peu avant l’ouverture de la n

Voici le reportage photographique, tel que Henri Jadart (1847-1921) l’avait conservé et que L. Demaison (1852-1937), son collègue et ami, l’a versé à la bibliothèque (mention sur l’enveloppe « don de Louis Demaison ») en mai 1927 : il comporte 6 cartes, bleu cyan clair côté recto, annotées par Jadart (format 16,3 cm x 10,7cm et tranches dorées). L’ensemble des versos où sont collées les 8 photos de Fr. Rothier et trois exemples de recto, cartes n° 66, 67, 68 sont montrés ici. Pour la chronologie des magasins de Rothier et de ses cartes de présentation-publicité, voir l’article en ligne de Charles Poulain.

Le transport du sarcophage eut lieu le matin du samedi 28 mars 1896 et a été bien préparé par les services municipaux mais on ignore si Fr. Rothier a répondu à une commande officielle ou pris l’initiative, commerciale ou pas, de le photographier. Les 3 premières photos, les trois faces du sarcophage, laisseraient à penser qu’il s’agit d’une commande municipale avant un déplacement estimé périlleux, comme l’a expliqué Jadart dans des notes manuscrites à lire plus bas.

Ce reportage photographique est conservé à la bibliothèque municipale Carnegie dans le Fonds iconographique (cote: Reims,BM,FIC,XXIX III-3-063 à 068)
Le sarcophage est exposé au Musée historique et archéologique Saint-Remi (classé Monument Historique depuis 1862)

Ces trois photos (063, 064, 065) semblent prises sur l’assise charpentée du chariot à ressort (au départ du palais du Tau ?) mais elles ont été détourées, pour un usage ou une commande plus documentaire… Elles s’ajoutent aux deux principaux dossiers d’images du sarcophage, au MHSR et à la BMReims Carnegie, déjà fort riches.

Le début de la scène de chasse symbolique (présentation au général victorieux du casque et du cheval, pilier d’angle) est représenté sur le petit côté gauche du sarcophage mais c’est la 3e photo car elle a eu le numéro 65. Au centre de la face principale, à cheval et devenu maître héroïque de la chasse, le général défunt combat le lion et sauve des compagnons de guerre ou de destinée chrétienne… Sur le côté droit, n°64, d’autres compagnons de chasse.

Le transport en 3 cartes (66, 67, 68) et 5 photographies : la première, pour garder en mémoire l’évènement au départ du cortège dans la cour du Palais du Tau, est sans problème et correspond bien au récit manuscrit de Jadart (voir plus bas). Attelage de 5 chevaux, bois d’ « un pont de solides madriers » pour sortir le sarcophage de la crypte de la chapelle du Palais par la porte basse en arcature de la façade.

Les deux épisodes qui suivent sont plus difficiles à interpréter: comment le sarcophage est-il arrivé dans le cloître ? La carte 67 illustre certes l’arrivée dans la cour d’honneur de l’abbaye : le franchissement du grand portail et l’entrée sous un petit porche de l’aile nord mais qui est sans aucun débouché pour gagner le cloître..!

La carte et les 2 photos numérotées 68 montrent un passage délicat du chariot « conduit par un habile charretier » dans un virage d’un parc, vraisemblablement celui de l’École de Médecine qui était au nord de l’abbaye… Manœuvre exécutée avant ou après l’entrée dans la cour d’honneur ?! Grâce aux souvenirs consignés par H. Jadart (et avec les explications toutes récentes de Marc Bouxin, merci à lui et à Valérie Chopin du Musée historique Saint-Remi), le déroulement de la fin du voyage est plus compréhensible. Voir plus bas comment le sarcophage est entré dans le cloître.

L’enveloppe en krafft (par Jadart…pour Demaison…?) qui contient les 6 cartes bleues. Trois des dos : 66, 67, 68 avec annotations de Jardart :

De la cour d’honneur au cloître : un chemin détourné dans l’Hôtel-Dieu de l’époque

Le petit porche, aujourd’hui condamné, communiquait avec l’École de Médecine. La topographie détaillée de ce parc et des bâtiments de l’École en 1896 est mal connue mais on peut imaginer le trajet du chariot qui a utilisé ce porche, traversant l’aile nord de la cour d’entrée pour contourner ensuite l’abbaye. Les cartes 67et 68 du reportage sont donc dans le bon ordre…On sait aussi qu’une ouverture, datant peut-être de l’après-guerre 14-18, dans la première travée de l’ouest du réfectoire a été rebouchée quand, dans les années 1970, le bâtiment a été définitivement aménagé en musée ; elle avait été utilisée en 1958 pour le dernier voyage du sarcophage, de retour du Musée des Beaux-Arts…

Mais, en 1896, le sarcophage est entré ailleurs, plus loin… H. Jadart indique des « difficultés très grandes pour amener le marbre de la porte près de la chapelle jusque sous le cloître »… Il ne s’agit pas de l’ancienne chapelle Saint-Christophe près du chœur de l’abbatiale : on sait qu’une « chapelle de l’Hôtel- Dieu », ancienne bibliothèque, existait au rez-de-chaussée de l’aile Est à droite de la montée du grand escalier d’honneur, aile disparue après la guerre 14-18…

« Par le vestibule de la chapelle à travers des portes d’une largueur à peine suffisante » le sarcophage a gagné le côté sud du cloître, celui inséré dans les arcs-boutants de l’église abbatiale et qui devient en 1896 le dépôt lapidaire.

Sur un plan de Reims daté1899 (Archives Municipales, 1Fi442, en ligne), voir ci-dessus, le cheminement supposé du chariot jusqu’au vestibule de la chapelle est représenté, ainsi que l’ancienne ouverture (point orange) dans le grand réfectoire, là où est exposé maintenant, depuis 1958, le sarcophage.

Voir aussi plus bas, un autre plan de la carte topographique de 1910 pour l’ensemble du trajet entre le Tau et l’abbaye.

Sur un « Plan de l’abbaye Saint-Remi aujourd’hui Hôtel-Dieu de Reims » (vers 1880) (à Carnegie : Reims,BM,FIC,XX III,3) réalisé par Eugène Leblan, on situe bien cette chapelle peu connue et son vestibule par où le sarcophage a été conduit vers l’aile sud du cloître. Ce plan devait faire partie de l’édition, jamais achevée, d’un fascicule (n° 9-10) de Les Monuments Historiques de la Ville de Reims, pour lequel Jadart avait préparé des textes ; au sujet de cette trop vaste publication de Leblan, voir les notices 9 et 10 en ligne sur ce site et l’album Rha 8, p. 2-4 et 14.

Une photo par F. Rothier (ci-dessus) de cette chapelle de l’Hôtel-Dieu, prise de son entrée, peu avant 1895 (à Carnegie : Reims,BM,FIC,XX IV,e,4).

En 1895, Rothier a reçu un prix de l’Académie nationale de Reims pour deux albums photographiques, sur L’Eglise Saint-Remi et sur l’Exposition archéologique rétrospective au Tau.

A l’occasion d’un épisode de la vie rémoise du « tombeau de Jovin », en rassemblant divers témoignages de Leblan, Jadart et Rothier, on retrouve un peu de l’existence de cette chapelle et bibliothèque…

En 1895 également, H. Jadart, Ch. Givelet et L. Demaison ont publié le catalogue du « Musée lapidaire rémois établi dans la chapelle basse de l’Archevêché, 1865-1895 » travail muséographique coordonné avec une « Exposition rétrospective de Reims » dans cette chapelle du Tau et avec une décision prise par la municipalité, à la demande pressante de l’archevêque, de transférer enfin ce dépôt-musée dans le cloître de l’abbaye Saint-Remi. C’est dans son exemplaire personnel (conservé à Carnegie, cote: Reims,BM, CR V 2187, II 50, RES M) du tiré à part de ce catalogue, publié dans les Travaux de l’Académie nationale de Reims (TAR, tome 95) pour cette exposition, que Jadart a ajouté de nombreuses notes et pages manuscrites supplémentaires comme il en avait l’habitude, ce qui aujourd’hui est fort utile et émouvant.

Ci-dessus, le début du chapitre du catalogue du « Musée lapidaire… » au sujet du sarcophage avec un ajout de Jadart. En encart, l’étiquette de la cote de son exemplaire conservé au « Cabinet de Reims » (CR). Cette collection rassemblant le fonds local des ouvrages sur Reims, toujours à la BM Carnegie, a été créée en 1808 à l’Hôtel de Ville où était installée jusque la guerre de 14-18 la bibliothèque municipale; voir en ligne l’article de Lucette Turbet. En 1890, Eugène Courmeaux (1817-1902) célèbre bibliothécaire de la Ville et militant républicain, a débuté l’édition du catalogue du Cabinet après sa réintégration, en 1887 ; il avait été révoqué en 1850, suite à son opposition au régime installé par le futur Napoléon III.
En 1886, Henri Jadart, ancien élève ou auditeur des Chartes, était devenu conservateur-adjoint avant de remplacer, en 1895, Courmeaux comme conservateur et de la bibliothèque et du Musée, comme l’avait été Charles Loriquet entre 1852 et 1886. C’est pourquoi les souvenirs notés par Jadart, en particulier au sujet des musées projetés avec le maire J.-B. Langlet entre 1900 et 1914, sont précieux. Ici 3 des 7 pages ajoutées à son catalogue.

Dans son gros ouvrage illustré (avec nombreuses photos de Rothier) : « Une vieille cité de France, Reims. Monuments et Histoire » (Michaud, 1900), Hippolyte Bazin, le proviseur du lycée, évoque, p.39 ci-dessous ce voyage d’1,5 km en 1896. Il continue par une bonne présentation, en l’état des connaissances de l’époque, de Jovin et du sarcophage, éditant une photo de Rothier différente de celle du reportage, mieux éclairée, une fois le sarcophage installé dans le cloître…?
Pour le nombre de chevaux (8 !) il diffère de Jadart et du reportage (5). Pour le poids du sarcophage, il semble suivre une note de Jadart…

A droite, en pointillé vert, le trajet probable (en longeant le tramway…?) du chariot entre le Palais du Tau et l’Hôtel-Dieu. Le fond de plan (© IGN et Rha) est l’épreuve gouachée de la révision de 1910 pour la feuille au 1/10000 du Plan directeur de Reims par le Service

Géographique de l’Armée.

Carré bleu dans les Promenades: un lieu, actuel monument aux morts de la Résistance, où le sarcophage aurait pu être exposé ! Voir plus bas…

Le poids du sarcophage

Une première indication a été fournie par une des notes (p. 35) de Jadart : il explique que, dans un exemplaire de la Metropolis remensis Historia de dom Marlot (1679), récemment acquis par la bibliothèque chez Michaud en 1896, une note anonyme ancienne mentionne un poids de « 16 milliers ». Ce qui correspond à 7,8 tonnes… C’est vraisemblablement sur ces indications que Bazin se fonde pour écrire en 1900 qu’il pèse au moins 7 tonnes.

En 1980, B. Andreae, dans un inventaire des sarcophages romains sculptés dont il est le grand spécialiste, mentionne, sans explication, un poids de 4 tonnes.

En 2007, pour l’étude destinée à la Carte archéologique de la Gaule (CAG Marne, vol. 2-Reims, p.319 ), on a utilisé avec le laboratoire Gegenaa de l’URCA, la densité du marbre (2,7) pour calculer un poids d’environ 5,5 tonnes, basé sur un volume d’environ 2m3, délicat à préciser, tout du moins pour la face avant très sculptée. Le bloc brut et non évidé (2,85×1,48×1,33 m = 5,6 m3) pèserait
15 tonnes.

En 1944, l’archéologue G. Rodenwaldt, le prédécesseur d’Andreae, voyait dans le voyage du sarcophage (qu’il ne pouvait envisager qu’en marbre de Carrare et depuis Rome…) une « performance inhabituelle ».
J.-J. Hatt en 1966, dans un panorama de la sculpture gallo-romaine et défendant une œuvre créée sur place à Trèves ou Reims pour Jovin, estimait que le poids et la fragilité des sculptures du sarcophage excluaient un transport depuis Rome…Le transport maritime lointain des marbres jusqu’aux ateliers de Rome est bien connu et Proconnessos, d’où vient celui du sarcophage, faisait partie des carrières impériales.

Quant au reste du voyage…? et à une arrivée au port de Reims par un amont de la Vesle à la navigabilité trop problématique…?! L’hypothèse d’un transport terrestre, par « l’autoroute » antique que devait être la voie impériale depuis Lyon , est plus réaliste;

Ci-dessus, un des 3 grands dessins conservés au Musée historique Saint-Remi. Point bleu : le sarcophage ; point jaune : la stèle de Cernunnos, découverte en 1837, dessinée ici bien trop grande. Edition en ligne de ces 3 belles planches du MHSR dans une prochaine notice …

Les 8 voyages du sarcophage

(bref dénombrement)

1er voyage / 3e ou 4e siècle ap. J.-C. : de l’ile de Proconnessos (actuelle ile et mer de Marmara à l’ouest d’Istanbul) jusqu’à Reims… Sous quelle forme ? bloc plus ou moins évidé et préparé, pré-sculpté ? En passant par les ateliers de Rome…?

2e /vers 370 … retraite puis mort de Jovin…Installation du sarcophage à Saint-Agricole, église « jovinienne » où il aurait organisé son tombeau…(dans un hypogée ?). Eglise devenue, après 406, le tombeau de Nicaise, premier saint martyr rémois.

3e /après 1263 : Installation dans la nouvelle église abbatiale Saint-Nicaise, à proximité de la grande rose ? dont la chute en 1540 l’a endommagé (couvercle?). Bergier l’y décrit en1622.

4e/22 octobre 1799 : transport depuis St-Nicaise, devenant carrière de pierre, jusqu’à la cathédrale, dans le transept sud mais, dès 1822, l’archevêque le donne à la municipalité pour le voir ailleurs, jugé trop païen…

5e/ 1865 : déplacé finalement dans la chapelle basse du Palais du Tau, qui devient le musée lapidaire, provisoirement.

6e / 28 mars 1896, celui photographié par F. Rothier : du palais du Tau au cloitre de l’abbaye Saint-Remi… et nouveau projet de musée archéologique dans l’Hôtel-Dieu de l’époque.

7e /6-9 mai 1932 : du cloître de Saint-Remi à l’abbaye Saint-Denis, devenue, après 1908, le musée municipal, dédié aux Beaux-Arts en 1913.

8e et dernier voyage / 14 juin 1958 : retour à l’abbaye Saint-Remi, dans l’ancien grand réfectoire: le musée archéologique et historique sera officiellement créé en 1978.

On devrait pouvoir mieux documenter et illustrer les deux derniers voyages, ceux du 20e siècle. Pour 1958, Hubert Fandre se souvenait d’un transport sans problème qu’il avait organisé pour le musée avec les moyens de son entreprise et de l’EDF.

Un 5e voyage bis que le sarcophage aurait pu faire dans les Hautes Promenades..! Après la découverte et la fouille de la maison et de la grande « mosaïque des Promenades », publiée dès 1861 par Ch. Loriquet, voir la notice 39 en ligne, un projet de musée de site, à proximité de la nouvelle gare et qui aurait résolu le problème des divers dépôts archéologiques, a été esquissé par N. Brunette, l’architecte municipal.

Pour le début et la fin du voyage de 1896 immortalisé par Rothier voir sur le site Documentation Reims de l’association ReimsAvant l’article très complet de Charles Poulain sur la famille Rothier.

Voir aussi les notices pour le tombeau : le Powerpoint jovin-conference

Merci à tous ceux qui m’ont aidé pour cette notice, en particulier à la bibliothèque municipale Carnegie et au Musée Historique Saint-Remi,
Jean-Jacques Valette, 3-2017

Notice terminée mars 2017 n°37 © Rha

Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.