Les voies de communication antiques

La Table de Peutinger et le carrefour routier antique de Reims

la Table dessinée dans la réédition de Bergier en 1728

JJ Valette Rha
(Fête la Science, oct. 2012 ; Gegenaa, SAVR, avril 2013)

La Table de Peutinger, du nom du savant allemand de la Renaissance Conrad Peutinger qui en a hérité en 1508, est une copie médiévale (12-13e siècle…) d’un itinéraire cartographique romain retrouvé en 1494 ; elle est publiée une première fois en 1588. Le Rémois Nicolas Bergier, (1567-1623), historien du roi et avocat du Conseil de Ville (en particulier pour réaliser à Reims le plan Cellier), a étudié cette Table dans son ouvrage sur les voies romaines : « Histoire des Grands chemins de l’Empire romain (1622) ». En 1728, la réédition de cette somme encyclopédique d’alors comporte une réduction gravée de la Table (à voir à la Bib. Carnegie, BM Reims, cote : CR V M 1768 bis).

L’original de la Table est toujours conservé en Autriche à la Bibliothèque de Vienne. De nombreux fac-similés ont été faits depuis 1598. Aujourd’hui grâce à l’Internet, on peut accéder en ligne à cet original et à ses reproductions ou études (voir ressources + bas).

La Table est constituée de 11 parchemins de 34 cm de haut formant une bande de 6,80 m de long. Un premier segment à l’ouest semble disparu (Espagne, Britania). La déformation évidente de la géographie dans le sens de la hauteur (nord-sud) est due à la forme d’un rouleau de parchemin pour suivre des itinéraires mais aussi, vraisemblablement, à un premier modèle impérial romain peint sous un portique à Rome : une carte de « tout le monde romain » commandée par Agrippa ; gendre et successeur désigné d’Auguste, il organisa les Gaules et la Belgica... (voir, au Musée historique Saint-Remi, la grande inscription rémoise à ses deux fils morts « Princes de la jeunesse »)

Afrique) est d’environ 20 fois. Ici, cette copie de Gegenaa, est 2 à 3 fois plus haute que l’originale donc plus facile à déchiffrer :

Pour la Gaule, la représentation des fleuves et la localisation des peuples sont souvent étranges ou erronées : sources de la Meuse à Grand ou Bourbonne ? La Seine devient la Loire… Le « Sinus Aquitanicus » (La Gironde) va au nord jusqu’en Bretagne.. où la Somme se jetterai chez les Venètes… Les Parisi sont indiqués au nord de la Meuse, vers Tongres (Atuatuca) alors que Luteti (Paris) est bien sur la Seine-Loire au nord de Cenabo (Orléans)… les Nerviens ([N]erviges) sont bien au nord de Reims ; des Nitiobroges (peuple de la Garonne !) sont mentionnés juste au sud de Reims. Cependant un torque celtique en or, gravé aux noms de ce peuple, a été trouvé en 1965 à Mailly-le-Camp ! et « nitiobroges » peut se traduire par « ceux qui habitent à l’extérieur de chez eux »…   

Le légendage des villes est plus hiérarchisé : en général 2 tours ; Reims a droit à un autre symbole, comme Chalon-sur-Saône , une maison : temple ou succursale de La Poste Impériale (cursus publicus) ? Des bâtiments carrés à bassin d’eau indiquent des établissements thermaux : Indesina, source indiquée de la Meuse ; est-ce Bourbonne ou Grand ?…

Le carrefour routier terrestre de Reims (Durocortoro) est fort bien visible au milieu de la Gaule du nord-est et ne pose pas beaucoup de problème de lecture : hasard ou plutôt choix de cartographes aux débuts de l’Empire … ?

  • Une voie en escalier (compression nord-sud) se repère facilement : de Chalon-sur-Saône (Cabillone) par Langres (Andomatunno), Bar-sur-Aube (Segessera), Corbeil (Corobilium au sud du dépt. 51) jusqu’à Reims ; de là vers le nord et Bavay (Bagaco nervio) par Auxenna, passage de l’Aisne à Neufchâtel ou Evergnicourt, puis Nitiaci (Nizy-le-Comte 02, chef-lieu de pagus antique) etc… c’est l’axe sud-nord de la province de Belgica du Haut-Empire. 
  • Vers le nord-est et le Rhin, on repère la longue voie directe et stratégique jusqu’à Cologne ; elle franchit la Meuse (Mose) au pont antique de Warcq-Mézières (08). La station de Noviomagus à XII lieues (25 km) de Reims nous est mal connue vers Avançon, bien avant l’Aisne et Château-Porcien. 
  • De cette grande route peu après Reims, un embranchement vers le sud-ouest gagne Bibe (Mont-Aimé, Morains… ?) et Calagum (Chailly-en-Brie ?) embranchement vers Beauvais ou vers Troyes (Aug. Bona) ou Sens (Agedincum).    
  • À l’est de Reims pour aller à Toul (Tullio) puis Metz (Divodurimedio Matricorum), capitale des Mediomatricii, une voie passe par Tanomia (La Cheppe, fanum minervae) puis Caturices (Bar-le-Duc), Nasic (Naix) et la Meuse (Mose)

Ressources et orientation de recherche

Sur l’Internet :

  • bon article de Wikipédia permettant l’accès en ligne aux reproductions de l’original de la Table et des autres copies dont celle de 1887 imprimée ici par Gegenaa. On y accède aussi à un site récent OMNES VIAE, superposant les localisations de la Table sur un fond de carte Google Map zoomable ; il y a cependant des erreurs de tracé à corriger autour de Reims… 

À la bibliothèque municipale de Reims (Carnegie) :

  • En plus de l’ouvrage célèbre de Bergier, on peut voir l’édition française commentée de la Table de Peutinger (1869, avec des reproductions en couleurs ; cote : Atlas. 86), par Ernest Desjardins, le grand géographe de l’histoire de la Gaule antique.
  • Voir aussi la Carte archéologique de la Gaule 51/1 (2005), pour les voies antiques du département de la Marne (JJV).

Le manuel le plus utilisable encore aujourd’hui est celui de Raymond Chevallier (ed. 1997) : Les voies romaines ; p.53-59 pour la Table et l’Itinéraire d’Antonin.

Pour la géographie romaine, voir l’ouvrage-clé : Claude Nicolet, L’Inventaire du Monde, Géographie et politique aux origines de l’Empire romain, 1988 (épuisé, même en livre de poche).

À Paris, au Musée de La Poste près de la Gare Montparnasse :

  • Exposition d’une reproduction de la Table de Peutinger dans le contexte de la Poste impériale augustéenne, le Cursus publicus.

Voies romaines, voies gauloises, réseaux routiers anciens…
tableau pour l’histoire de la recherche :

  • C’est un panorama en lecture rapide, entre « nuage de mots » et bibliographie abrégée ; un aide-mémoire qui regroupe, à l’échelle « locale/régionale » et « nationale », des auteurs, des ouvrages, des notions… sans être une bibliographie ou une historiographie (pour cela, voir d’abord les « CAG » (Cartes archéologiques de la Gaule : synthèses et pré-inventaires communaux par département) : de 2002: Aisne, Aube… à 2012 Ardennes; pour la Marne 2005 (JJV).
  • Actuellement, grâce à Google, Wikipedia, les « open sources » (en particulier pour l’archéogéographie), on trouve facilement les chercheurs/cheuses, les titres, articles, notions d’hier et d’aujourd’hui évoqués dans ce tableau et qui conduisent à des données sérieuses, à des pistes exploitables et navigables, le hasard documentaire pouvant aussi contribuer à l’enquête personnelle.
  • Cette première version (v.1 avril 2013) est en évolution et amendable ; en particulier pour l’explicitation des sigles que Google ne prend pas toujours en compte : Patrimoine, Sociétés savantes, etc.
    Pour la notion d’historiographie et une lecture thématique des données du tableau, voir après ce tableau.

L’historiographie, c’est l’histoire de l’histoire : comment elle se fait, par qui, dans quels contextes et évolutions de la société : c’est particulièrement utile pour s’intéresser à la géographie des paysages, à l’archéologie ; la culture scientifique et technique, l’interdisciplinarité vont maintenant avec l’histoire et la géographie.

Notice terminée avril 2013 © Rha

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